Rav Haïm Harboun 

Dans quelle mesure un homme serait-il responsable  des conséquences imprévisibles de son action ? Peut –on incriminer un individu pour les conséquences de son action ? Pour illustrer notre interrogation, nous allons prendre un exemple. Le savant Thomas Addison inventa en 1877 le phonographe.  Grâce à cette invention nous avons actuellement le fameux CD et le DVD, et une dizaine d’autres inventions de cette nature. Peut-on considérer Addison  responsable de la musique  dite Rapp ? Peut-on incriminer Addison pour toutes les perversions que son invention a entraînées ? Nous avons choisi un exemple d’un personnage célèbre et illustre. Cependant, la question posée, est de caractère universel. Chaque individu  agit plusieurs fois dans sa vie. Son action  génère inéluctablement des conséquences  susceptibles d’avoir une répercussion sur plusieurs générations. D’après le droit positif, il n’est pas prévu d’incriminer quiconque pour les conséquences imprévisibles de son action. Qu’en pense le Judaïsme ? La réponse à cette question se trouve dans la Torah, au Livre du Lévitique,  chapitre 4 verset 27-28. L’Ecriture précise : « Si  un individu d’entre le peuple pèche par inadvertance, en faisant une des choses que l’Eternel défend de faire, et ce trouve ainsi en faute s’il vient à connaître le péché qu’il a commis, il apportera pour son offrande une chèvre sans défaut, une femelle, à cause du péché qu’il a commis » De ce verset on peut déduire quelques règles.

a-      Un individu qui a fauté par inadvertance, autrement dit involontairement- dans le droit hébraïque on dira  béchoguèg- doit apporter un sacrifice.

b-      Une  personne est responsable sur toutes ses actions sans exception.

c-      Il convient de différencier la responsabilité  du sentiment de culpabilité.       

Avant de poursuivre notre raisonnement, précisons que le chabbath échappe à la halakha qui précise qu’un individu est responsable même s’il commet une erreur par inadvertance. En ce qui concerne le chabbath, on ne qualifie pas de faute un acte commis dans l’ignorance de cet acte. Par exemple, quelqu’un qui s’appuie sur un mur sans avoir vu que dans ce mur il y a un interrupteur et dans l’ignorance, cette personne allume le courant. Cette personne ne serait pas tenue d’apporter un sacrifice ‘hatath Autrement dit, une personne ne serait responsable que pour une action intentionnelle et réfléchie. Dans  ce cas il serait fautif à des degrés divers même si  l’action a été exécutée  avec une conscience partielle. Le cas classique  où l’on est responsable est lorsqu’un individu n’a pas conscience que l’acte qu’il exécute est interdit. Exemple : une personne qui ignore complètement que nettoyer un vêtement qui vient de se salir le chabbath est un acte interdit , en le nettoyant il est passible de Hattath. Certes il n’est pas fautif , n’ayant pas agi volontairement et en connaissance de cause. Cependant, il n’est pas tout à fait quitte, car il aurait dû étudier et connaître la  halakha. L’étude de la torah est une obligation et c’est une mitsva  dont l’excellence est proclamée plusieurs fois dans toute la littérature rabbinique.

Nahmanide apporte sa contribution dans ce débat sur la responsabilité. Il affirme que même si un acte a été fait involontairement (béchoguèg) il est passible d’un sacrifice hatath parce que dit-il, quand bien même, l’acte fut  accompli involontairement il laissera dans la conscience un  sentiment de culpabilité.  

Ce que Nahmanide veut nous apprendre, c’est que dans  le droit hébraïque, contrairement au droit  occidental , la morale est déterminante. Le droit non-juif est en général amoral. La loi ne se préoccupe pas de considérations morales. Ce qui fait la spécificité du Judaïsme, c’est qu’il n’existe pas le droit d’une part et la morale de l’autre. Tout est fondu en une seule unité. Le problème moral est toujours présent dans toutes les actions du Juif. Par ailleurs, tout acte accompli ne peut pas se faire dans un état d’inconscience.  Pour manger un fruit il est nécessaire de faire deux bénédictions une avant la consommation du fruit et une autre après. Il n’est pas possible d’ignorer la loi pour quiconque étudie la torah. Celle-ci n’est pas une doctrine strictement « religieuse » mais englobe en elle la totalité des sciences humaines y compris le droit. C’est pourquoi l’étude de la torah est prépondérante, pour que tout acte soit accompli  en toute connaissance d’une part ,et dans l’écoute de sa propre conscience morale d’autres part. 

                                                                                        Rav Haïm Harboun