Histoire

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LE POGROME    Novembre 1905

 

Cela durait depuis deux jours déjà. Mais comme personne n’avait mangé, personne n’avait échangé des salutations avec qui que ce soit et que personne n’avait pensé à remonter l’horloge pour la nuit ( car les gens dormais tout habillés, n’importe où, dans une soupente, dans un hangar ou dans un wagon vide), toute notion de temps avait disparu. On entendait seulement le cliquetis incessant des vitres brisées. A ce son terrible, les membres se raidissaient et les yeux se dilataient de peur.

 

Quelques maisons éloignées brûlaient. Le long de la rue  teintée de rouge au pavé rougi, un homme tout rouge passa en courant tandis qu’un autre homme rouge tendait le bras et du bout de ses doigts éclata rapidement un son bref claquant,- et l’homme qui courait s’abattit.

 

Un cri aigu traversa la rue ; « Ils tirent ! »

 

Des inexorables apparurent. Les maisons furent envahies. Des vieillards eurent les bras brisés ; le sein blanc des femmes fut piétiné par des bottes lourdes et sales Plusieurs succombaient aux tortures ; d’autres étaient brûlés vifs.

 

Deux personnes se cachaient dans une cave sombre : un homme âgé et son fils, un écolier. Le vieillard remonta et ouvrit la porte extérieure, afin de donner l’impression que l’endroit avait été abandonné par ses habitants. Un marchand se précipita dans la cave. Il pleurait, non de crainte mais parce qu’il se sentait en sécurité.

« J’ai un fils comme vous » dit-il au milieu de ses larmes. Il respira profondément et nerveusement et répéta : «  Oui, comme vous, mon enfant »

 

Le maître de la maison saisit le marchand par le coude, l’attira tout contre soi et lui murmura à l’oreille : « Sch ! Ils pourraient nous entendre »

Ils restaient là, dans l’attente. De temps en temps, un bruissement ; un souffle régulier et contenu fut entendu. Le cerveau ne peut se familiariser avec ces sons dans les ténèbres et le silence. Peut-être dormaient-ils, on n’aurait pu le dire.

 

Dans la nuits,- il devait être bien dans la nuit- deux autres se glissèrent dans la cave sans bruit. « Est-ce vous ? » demanda l’un d’eux sans voir personne, et le son brusque de sa voix sembla illuminer l’obscurité pour un instant. « Oui » répondit l’écolier, « tout va bien »

« Sch ! Ils pourraient vous entendre « interrompit le maître de la maison, prenant chacun des nouveaux venus par le bras et le faisant asseoir. Les derniers arrivés se placèrent contre le mur, l’un d’eux se frottant le front. « Qu’y a-t-il ? » demanda l’écolier dans un murmure. «  C’est du sang »

Puis, ils gardèrent le silence. L’homme blessé appliqua un mouchoir sur la plaie. Un silence épais et immuable régna alors. Puis, de nouveau un souffle contenu.

En haut, au ras du plafond, une blancheur très pâle apparut. L’écolier s’était endormi, mais les autres quatre dressèrent la tête, braquant le regard sur cette apparition. Ils regardèrent longuement pendant près d’une demi heure de sorte que leurs muscles étaient devenus douloureux dans leur cou tendu. Enfin ils comprirent que c’était une petite fenêtre à travers l’ouverture de laquelle l’aube avait glissé sa lueur.

C’est alors que des pas de fuyards se firent entendre : un homme, veste apparut suivi d’une femme qui tenait un bébé dans les bras. L’aurore se levait et l’on pouvait voir la crainte violente qui stigmatisait leurs faces.

 

« Par ici, par ici ! » siffla l’homme. « Ils courent après nous, ils nous cherchent » dit la femme. Elle avait mis ses chaussures sur ses ^pieds nus et son jeune corps portaient des taches blanches, livides qui évoquaient un cadavre.

 

« Ils ne nous trouverons pas ; mais pour l’amour du ciel, soyez tranquilles ! »

«  Ils sont tout près dans la cour. Silence, de grâce, silence ! »

L’homme blessé saisit d’une main le marchand et de l’autre le maître de la maison  tandis que le marchand s’accrocha à l’homme qui n’avait pas de veste. Ils formaient ainsi une chaîne vivante, regardant la mère avec son bébé. Soudain, le bruit étrange et pourtant familier se fit entendre, un son si proche et tellement menaçant ! Le péril que ce bruit annonçait, ils le sentirent tout de suite ; mais leurs cerveaux étaient lents à l’admettre.

Le son se répéta. C’était le cri de petit. Le marchand prit une expression indulgente pour dire : » C’est le bébé qui pleure. » Puis, s’adressant à la mère, il ajouta : « Berce-le, ma chère. Vous allez causer notre mort à tous. »

La poitrine et la gorge de chacun étaient étreintes par l’émotion. La mère parcourait la cave de long en large, berçant son enfant et le câlinant : «  Tu ne dois pas crier ; dors mon trésor… C’est moi, ta maman… Mon cœur… »

Mais le petit continua à crier obstinément, de plus en plus fort. Il devait y avoir, dans la figure de la maman, quelque chose qui ne rassurait pas le bébé. Alors, dans l’atmosphère chaude et bizarre du souterrain, l’esprit de la mère conçut une idée folle. Il lui sembla qu’elle l’avait lue dans les yeux, dans le silence douloureux de ces personnes inconnues. Et ces hommes malheureux, épouvantés, comprirent qu’elle pensait d’eux. Ils le comprirent à la tendresse inexprimable et morne avec laquelle elle chantonnait :

 

« Il va s’endormir très vite. Je le sais. C’est toujours comme ça : il pleure un instant, puis il s’endort soudainement. C’est un garçon très sage » Elle s’adressait à l’homme sans veste, avec un sourire pénible, suppliant. Tout à coup, un bruit éloigné se fit entendre. Puis ce fut un son mat, puis encore un craquement qui fit frémir l’air.

L’écolier murmura : « Ils sont en train de chercher. » Mais l’enfant continua à crier désespérément.  « Il va nous perdre tous, » dit l’un des hommes. Et la mère horrifiée de sangloter : « Je ne l’abandonnerai pas… Non, jamais ! »

« O Dieu, » murmura le marchand et il  couvrit le visage avec les mains. Ses cheveux étaient en désordre après une nuit sans sommeil. L’homme sans veste fixa le bébé avec des yeux qui sortaient de la tête.

La maman, saisissant ce regard, interpella l’homme sans veste d’une voix basse et mauvaise : « Je ne vous connais pas. Qui êtes-vous ? Que me voulez vous ? » Elle se précipita vers les autres, mais chacun se reculait avec crainte. L’enfant criait toujours, perçant le cerveau avec sa clameur.

« Donnez-le moi, » dit le marchand, ses sourcils frémissant d’émotion, «  les enfants m’aiment. »  Tout d’u coup, la cave devint sombre. Quelqu’un s’était approché de la petite fenêtre et écoutait. Devant cette ombre, se dressant si brusquement, tous se turent. Ils sentaient que la chose venait, qu’elle était proche et qu’il n’y avait plus une minute à perdre. La mère se retourna. Dressée sur la pointe des pieds, élevant les bras, elle remit son enfant au marchand. Il lui semblait qu’en faisant ce geste elle commettait un crime terrible … que des voix sifflantes la maudissaient et la repoussaient, à tout jamais, du paradis…

Chose étrange, se trouvant dans les bras épais mais affectueux du marchand, le bébé s’était tu. Mais la mère interpréta ce silence différemment. Ceux qui étaient là virent les cheveux de la femme devenir blancs en un instant, comme  si on lui avait versé un acide sur la tête. Et dès que le cri de l’enfant s’éteignit, c’est un autre cri qui éclata, plus effrayant, plus perçant et plus navrant.

La mère se dressa sur la pointe des pieds ; puis livide, terrible, pareille à la Justice elle-même, elle hurla d’une voix inhumaine et désespérée, qui apporta la destruction avec elle… Personne ne s’était attendu à cette folie soudaine. L’écolier s’évanouit…

Plus tard, les journaux rapportèrent les détails de l’assassinat par la populace de six hommes et d’un enfant. Car personne n’avait osé toucher à la vielle femme folle de vingt-six ans.

                                                                               Ossip Dymov