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LA REVOLUTION FRANCAISE
1L’égalité des droits civiques accordée aux juifs en 1971, a marqué leur entrée dans la société moderne. L’exposition que nous présentons s’efforce de rendre compte de la genèse difficile de cette conquête, voulue par les juifs et soutenue par quelques hommes éclairés.
Il était nécessaire de brosser un tableau du judaïsme français à la veille de la Révolution et de mettre l’accent sur la diversité et le dynamisme des communautés.
Au cours de la Révolution, il se trouva des juifs silencieux, des juifs enthousiastes ou simplement engagés mais fort peu songèrent à renier le droit qui leur était enfin accordé.
1Laurence Sigal-Klagsbald; Conservateur du Musée d’art et histoire de judaïsme, exposition « Juifs et Citoyens »A.IU, 45, rue La bruyère, 75009 Paris, p3
Les répercutions de la Révolution Française sur la pensée religieuse des Juifs2
Les juifs, avant la Révolution Française étaient confinés dans un petit nombre de métiers considérés comme vils, et par suite méprisés par la grande majorité de la population. C’est la Révolution Française qui leur avait apporté la liberté de s’installer où bon leur semblait, de se déplacer, et d’exercer la profession de leur choix, qui leur avait donné l’égalité avec les autres Français.
Cette liberté soudaine, va troubler le peuple juif dans l’aspect religieux, il risque de prendre la voix de l’Émancipation, susceptible de provoque une assimilation par les mariages mixtes etc.
3À partir de décembre 1791, les juifs peuvent continuer l’exercice de leur culte sans être troublés. Et à partir du 8 juin 1793 ils ont acquis le droit de se servir d’un abattoir rituel. Mais, sous l’effet conjugué du régime de la Terreur et de la pénurie des subsistances, ils ont des difficultés pour la fabrication du pain azyme. Le 13 germinal an II (2 avril 1794), une députation de la Société populaire vient dénoncer au Conseil de la commune les juifs qui en faisaient avec de la farine pure, alors qu’on devait obligatoirement utiliser une farine contenant du son. Le Conseil, considérant qu’agir ainsi c’est violer la loi, que par ailleurs « le pain sans levain est encore une dépendance du culte mosaïque, qu’il est d’ailleurs malsain et que sous ce rapport l’usage doit être interdit », condamne cette pratique et menace tout contrevenant «d’être rejeté comme suspect et traité comme tel».
2Les juifs et la Révolution Française, problèmes et aspirations «Collection Franco-Judaïca», Édouard Privat, Éditeur p 48
Si La terreur arrête le culte dans la synagogue, les Juifs y gagnent au moins un local d’enseignement. La loi du 8 pluviôse an II avait établi des instituteurs de langue française dans les localités où l’usage de notre langue n’était pas familier. A Metz, beaucoup de jeunes juifs d’origine allemande, ignorant le français, ne pouvaient profiter des avantages de la loi 29 frimaire établissant les écoles.
3Les juifs et la Révolution Française, problèmes et aspirations «Collection Franco-Judaïca», Édouard Privat, Éditeur p 97
4Au commencement de l'an II (septembre 1793), après l'arrivée des Montagnards au pouvoir, c'est la pratique du judaïsme qui se trouve menacée. Les Montagnards entendent lutter contre "le fanatisme", c'est-à-dire essentiellement contre la religion catholique, contre les réformés et contre les Juifs.
On ferma les églises et les temples. La cathédrale de Metz fut transformée en temple de la Raison (décembre 1793), puis de l'Etre suprême (mai 1794) et il fut interdit de chômer les dimanches. Si même Robespierre et ses proches n'étaient pas antijuifs, il n'en reste pas moins que beaucoup de Montagnards étaient prévenus contre la "superstition judaïque" et n'étaient pas insensibles aux accusations d'usure et d'agiotage dont les Juifs étaient l'objet. L'observance du sabbat fut interdite. Les deux synagogues de Metz furent fermées et confisquées. Les objets du culte le furent également. Au moment où, le 22 novembre 1793, les commissaires de la municipalité faisaient l'inventaire des meubles et effets se trouvant dans la synagogue, ils en furent empêchés par des membres de la société populaire qui procédèrent "sur le champ à la destruction de différents objets qui se trouvaient dans cette synagogue". Il est vrai qu'il est rapporté que la communauté avait réussi à sauver clandestinement les rouleaux de la loi en leur substituant des sefarim hors d'usage En novembre 1794, les administrateurs du département décidèrent de transformer la synagogue principale en parc à bestiaux. On y logea effectivement des bêtes jusqu'au 9 nivôse an III. Puis, à cette date les animaux furent enlevés. La municipalité fit fermer les portes et remit les clefs au district. Le Conseil de la commune condamna le 13 germinal an II (2 avril 1794) la fabrication du pain sans levain et en interdit l'usage sous peine pour tout contrevenant d'être "réputé comme suspect et traité comme tel".Enfin, les Juifs messins éprouvèrent des difficultés sérieuses pour enterrer leurs morts dans le cimetière de la communauté, notamment lorsqu'il fut prescrit après le 24 janvier 1794 que les inhumations devaient se faire non plus dans les cimetières des paroisses et donc pas non plus dans le cimetière juif, mais dans les cimetières communs à toute la population messine, en particulier dans le cimetière de Chambrière. Les Juifs furent alors accusés d'avoir enterré leurs morts clandestinement dans leurs caves - ce qui après enquête se révéla faux - et de ne pas observer la loi sur la déclaration obligatoire des décès. Des poursuites judiciaires eurent lieu contre des veuves qui avaient fait enterrer leurs maris dans le cimetière juif. La communauté dut enfin abandonner son ancien cimetière situé devant la porte de Chambrière, tout près des remparts de la cité, et se vit attribuer un emplacement situé en aval, dans l'île Chambrière, pour un nouveau cimetière, là où se trouve encore aujourd'hui le cimetière juif de Metz. Après la fin de la Terreur, la Convention permit par la loi du 11 prairial en III (30 mai 1795) le libre usage des édifices du culte non aliénés. Le 20 juin 1795, le Conseil général de la commune de Metz fit droit à la pétition de la communauté juive qui demandait la restitution de ses synagogues et des objets du culte confisqués. Les Juifs de Metz purent ainsi reprendre la célébration des offices dans les synagogues. Tout n'était pas encore terminé. Il restait en particulier à régler l'épineuse question des dettes de la communauté se montant à 440.179 francs selon le rôle de recouvrement de 1789, dont la liquidation lut finalement mise à la charge des Juifs de Metz et de la généralité, ainsi que de leurs descendant et qui, recouvrée par rôles, ne se termina pas avant 1854.
Son influence sur le Judaïsme européen.
5Au moment même où la France, à la suite de la Révolution (1789-1799), traverse une période de bouleversements qui la conduiront à un système social moderne, la Pologne, d'abord menacée, disparaît en tant qu'État pour une période de 120 ans, son territoire étant annexé par les trois grandes puissances voisines (1772-1795). Malgré un programme de réformes ambitieux (1791), visant à transformer le régime politique de la Pologne, les pays voisins - la Russie, la Prusse et l'Autriche - avec le consentement de presque toute l'Europe, se partagent le pays. Les territoires situés à l'ouest (et une partie des régions au nord) passent sous l'autorité du Royaume de Prusse, le centre et l'est sont annexés par l'Empire russe, tandis que les territoires au sud (et une partie des régions à l'est) sont rattachés à la Monarchie des Habsbourg. La population, vivant sur le territoire polonais devient ainsi un élément de la structure du pouvoir autocratique et se trouve soumise aux différents systèmes économiques et juridiques des états occupants et soumis à l'influence des multiples traditions et des différentes politiques culturelles. Les processus de germanisation et de russification, de plus en plus oppressifs, se traduisent essentiellement par l'unification linguistique, religieuse, administrative et économique. Sur le territoire annexé par la Russie, où la Pologne obtient, à deux reprises, une certaine autonomie et où deux insurrections se succèdent, la politique répressive, visant à une dénationalisation complète, commence après 1864. La situation reste particulièrement complexe aux confins orientaux de ce territoire (dit "Kreisky"), habités par une population polonaise minoritaire, mais dominante sur le plan culturel et économique par rapport aux populations lituanienne, biélorusse et ukrainienne. La politique de russification met à profit toutes les tensions nées des problèmes nationaux ou relatifs à la propriété des terres. L'échec de l'insurrection de 1830 et les premières répressions provoquent une grande vague d'émigration polonaise vers la France qui devient, à cette époque, un important centre de culture polonaise. Sur le territoire annexé par la Prusse, le plus développé sur le plan économique, le gouvernement Bismarck, après l'unification du Reich allemand (1871), se révèle terrible pour la population polonaise. La politique dite "Kulturkampf" est axée sur la lutte contre l'église catholique et favorise la colonisation allemande sur les anciens territoires polonais. La résistance des Polonais, qui se traduit par le développement de leurs propres forces économiques, relègue au second plan les questions de la culture nationale. Seul le territoire annexé par l'Autriche, avec ses nombreuses nationalités (45 % de Polonais, 41 % de Ruthènes, 11 % de Juifs, 3 % d'Allemands), économiquement arriéré, notamment à la fin du XIXe siècle, bénéficie d'une relative liberté et se caractérise par un développement culturel significatif. Parmi les villes dans lesquelles l'enseignement artistique et l'art polonais restent vivants, Cracovie et Lvov occupent à cette époque une place prépondérante.
La peinture et la sculpture polonaises du XIXe siècle constituent pour l'essentiel une réponse à cette situation politique. Malgré les liens entretenus avec Saint-Pétersbourg, Rome, Munich et Paris, les artistes polonais se sont tournés vers les sujets et les symboles nationaux qui dominent ainsi la réflexion artistique de ce siècle. L'imagination messianique ainsi que les utopies rétrospectivement patriotiques et historiques, ont caractérisé l'art des romantiques, des artistes académiques qui leur ont succédé, et des novateurs de la fin du siècle. On retrouve des orientations similaires dans l'art juif, fortement lié sur le plan territorial, historique et culturel aux artistes polonais, qui privilégiaient pourtant les questions religieuses, ainsi que dans l'art lituanien et ukrainien, dont les sujets abordés témoignent des premières manifestations de la conscience nationale émergente.
État juridique des juifs dans les états absolutistes.
6La Lorraine fut, avant la Corse, l'avant-dernière province à être réunie à la Nation française. Mais elle n'en était pas moins française, de coeur et de langue, depuis fort longtemps. Elle comprenait depuis des siècles une population juive, comme l'atteste pour ne pas remonter plus haut, la vie passée en grande partie à Metz, de Rabbénou Gerchom, surnommé "la lumière de l'exil, qui au dixième siècle, fut considéré comme une des plus grandes autorités spirituelles du judaïsme. A la suite de diverses péripéties, semblables à celles que connurent les Israélites du Royaume de France, les juifs furent autorisés en 1753 à résider dans les Etats de Stanislas, beau-père de Louis XV, ancien roi de Pologne, devenu duc de Lorraine et de Bar. La Communauté était répartie sur tout le territoire du duché, sans compter la ville de Metz, antique citadelle de la foi. Trois syndics se trouvaient à sa tête, Salomon Alcan, Isaac Behr et Michel Godechaux.
Le fils d'Isaac Behr, Beer Isaac Beer, joua un rôle éminent dans l'émancipation des Juifs de France. Il avait été désigné pour prendre la tête d'une délégation des Juifs d'Alsace et de Lorraine et, à ce titre, prit la parole devant l'Assemblée constituante le 14 septembre 1789. La discussion fut âpre et, malgré l'intervention de l'abbé Grégoire, curé d'Emberménil et délégué du clergé lorrain, La Fare, évêque de Nancy, ne put s'empêcher de proclamer, lié par les conclusions du cahier de son ordre : "Pour être juste, je dois dire que les Juifs ont rendu de grands services à la Lorraine et surtout à la ville de Nancy, mais il est des situations impérieuses."
Les déclarations de Beer Isaac Beer portèrent leurs fruits et, comme nul ne l'ignore, l'Assemblée Nationale, par un vote du 28 septembre 1791, révoquait "'tous ajournements, réserves et exceptions insérés dans les précédents décrets relativement aux individus juifs". Un autre décret du même jour avait beau restreindre leur activité économique. Une lettre du nancéien Bing illustre l'état d'esprit de ses coreligionnaires : "J'ai perdu les deux tiers de ma fortune et il ne me reste plus beaucoup de choses. Mais aussi je ne regrette pas cette perte, puisque je suis, à présent, citoyen français et vrai républicain. Et quand il ne me resterait plus que cela, je suis riche assez."
Viennent, dans la suite des temps, les années napoléoniennes, celles où l'Empereur convoque à Paris une assemblée des notables israélites, en 1808. Beer Isaac Beer figure dans la députation du département de la Meurthe et, à l'élection du président, réunit 32 voix sur son nom contre 62 à Furtado, un bordelais, son concurrent plus heureux.
Après la tenue, en 1808, d'un Grand Sanhédrin de l'Empire, un décret du 11 décembre crée l'organisation du culte israélite. Metz et Nancy deviennent chefs-lieux de Consistoires, ces institutions destinées à mettre en place les lieux de culte et leurs chefs spirituels. Le Consistoire Central organise un recensement des Juifs de la France de 1809, élargie jusqu'aux Bouches du Rhin et des Bouches du Pô. On y lit : "la ci-devant Communauté de Lorraine et des Trois Evêchés (Metz, Toul et Verdun) comprend 38 propriétaires, 117 militaires, 406 enfants voués aux travaux utiles, aux arts et aux sciences et fréquentant les écoles publiques, 13 fabricants" sur une population totale de 10.638 âmes, comprenant les Israélites des Ardennes, de la Haute-Marne et du Doubs.
Un événement capital de l'histoire du judaïsme français se produit, à la signature, le 21 août 1829, par La Bourdonnais, ministre de l'Intérieur, d'un arrêté autorisant, à la demande du Consistoire Central, l'établissement à Metz d'une école centrale rabbinique, une institution destinée à donner aux rabbins une formation à la fois religieuse et profane. Le budget de 1831 mettait les frais annuels d'entretien de l'École à la charge du budget de l'État : la subvention était cependant bien mince : 8.500 F. Tous les élèves étaient alors Lorrains, à l'exception de Lazare Wogue, le futur traducteur du Pentateuque.
Le nombre et la valeur des élèves, venus d'un peu partout, ne cessèrent de croître et on se demanda si l'École rabbinique pouvait demeurer à Metz, dans une ville certes de vieille tradition juive, mais sans appareil universitaire. Adolphe Franck et Salomon Munk firent rapport au Consistoire Central, en 1840, sur la situation matérielle et pédagogique de l'institution. Allait-on la transférer à Paris, la décentraliser en créant une autre école à Alger ?
La Haskala (l’intellectualisme laïc).
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La lettre de Beer Isaac Beer célébrant le décret d'émancipation |